Le 14 mars dernier, date anniversaire de la création du régime de retraite complémentaire des cadres et assimilés, l’Agirc, les organisations syndicales de salariés et d’employeurs se réunissaient, non pas pour célébrer les 67 ans du régime, mais pour convenir du lancement d’un nouveau cycle de négociations avec pour enjeu la disparition du régime de retraite des cadres, l’Agirc et la disparition du régime complémentaire de l’ensemble des salariés du secteur privé, l’Arrco.
Depuis longtemps maintenant, Medef et Cfdt poussent à la fusion-désintégration de l’Agirc et de l’Arrco. Hasard du calendrier sans doute, la Cour des comptes, qui vient d’auditionner la CGT sur ce sujet, s’y intéresse aussi depuis plus d’un an.
Ce faisant le Medef poursuit cinq objectifs pleinement assumés
1-. Faire payer une partie de la retraite des cadres par les non-cadres.
Depuis 2003, le montant des cotisations encaissées par l’Agirc ne permet plus de couvrir le montant des pensions à verser. Bien que fonctionnant en répartition, le régime Agirc s’était fort heureusement constitué des réserves de précaution pour pouvoir, en cas de difficultés, verser aux retraités leurs pensions sans en diminuer le montant. À partir de 2017, ces réserves seront épuisées. La fusion des régimes a pour objectif de siphonner les réserves de l’Arrco pour continuer à payer les pensions de l’Agirc, en d’autres termes, de faire contribuer 14 millions de non-cadres au financement des pensions de 3 millions de cadres et assimilés.
2-. Baisser les taux de remplacement du salaire de l’ensemble des salariés.
Ces transferts financiers à l’envers, des non-cadres vers les cadres, susciteraient une levée de bouclier qui, sur fond de ressentiment anti-cadres, justifierait une baisse du niveau des pensions par rapport aux salaires de fin de carrière, plus sévère pour les cadres que pour les non-cadres. Dans cette affaire, tout le monde serait ainsi perdant. Mais en vertu du soi-disant « principe d’équité », les ouvriers et employés devraient se satisfaire de perdre un peu moins ou un peu moins vite que les cadres.
3-. Créer une nouvelle entité juridique, se substituant à terme à l’Agirc, l’Arrco et l’Ircantec, pour constituer un régime complémentaire unique fonctionnant sur le modèle des comptes notionnels suédois.
Pour mémoire, le système suédois fonctionne « à cotisations définies ». La loi ayant définitivement figé le taux des cotisations pour la retraite, le système atteint chaque année son équilibre financier en ajustant ses dépenses à ses ressources. L’augmentation du nombre de retraités et de leur espérance de vie, conjuguée avec la stagnation ou le recul de la population active, se traduisent donc nécessairement par une baisse du montant des retraites et du niveau des futures pensions, selon un rythme et une ampleur variables en fonction des aléas de la conjoncture. Ce régime préfigurerait le régime unique public – privé que le gouvernement et la Cfdt rêvent de mettre en place.
4-. Développer massivement l’épargne-retraite.
Le Medef n’aurait plus qu’à tirer profit de la stigmatisation des cadres pour susciter en retour des replis catégoriels, visant au désengagement des cadres du financement de la protection sociale collective et solidaire, en particulier de la Sécurité sociale, au profit de la souscription de produits d’épargne-retraite auprès d’organismes bancaires et assurantiels privés à but lucratif. Avec la disparition de l’Agirc, les cadres d’abord, puis tous les salariés du privé se verraient ainsi massivement renvoyés à la capitalisation pour essayer de se constituer une épargne pour leurs vieux jours : ce serait un retour au 19 ème siècle.
5-. Porter un coup fatal au statut cadre, dont le Medef ne veut plus depuis de longues années.
Car avec la suppression de l’Agirc, disparaîtrait dans le secteur privé la seule reconnaissance interprofessionnelle et opposable du statut cadre au profit d’appréciations d’entreprises et de branches circonstancielles et sans homogénéité.
La disparition du régime Agirc déclencherait immédiatement des négociations dans toutes les branches pour remanier les conventions collectives, qui toutes se réfèrent obligatoirement à la Convention collective Nationale Agirc, et dispenserait ainsi même les entreprises de reconnaître et rémunérer à leur juste valeur la qualification et les responsabilités exercées par leur encadrement. L’impact sur tous les salaires serait très négatif, les entreprises se retrouvant dans les faits autorisées à rémunérer les cadres comme des employés, et les employés comme des précaires.
Le 27 juin prochain le calendrier des négociations sera arrêté. La CGT et son UGICT peuvent obtenir le maintien et le renforcement des régimes AGIRC, ARRCO et IRCANTEC en s’organisant pour prendre le leadership sur ces négociations.