Le Medef a annoncé le report de la troisième séance de négociation sur le dialogue social prévue le 13 novembre. Ses vœux : l’inversion de la hiérarchie des normes, et la réduction à peau de chagrin de toute représentation des salariés.
Pour la CGT, au contraire, « il est urgent de faire progresser les droits pour l’ensemble des salariés : droit à être défendu, droit à la représentation collective, droit d’intervention sur les choix économiques dans l’entreprise, droit aux activités sociales et culturelles, droit à la négociation collective, droit à la santé et à l’amélioration des conditions de travail ».
Un « vrai changement de paradigme ». Chef de file de la délégation patronale (Medef, CGPME, UPA) à la négociation interprofessionnelle sur l’efficacité du dialogue social et l’amélioration de la représentation des salariés, Alexandre Saubot annonce d’emblée l’objectif. Pour le patronat, le dialogue social doit devenir « un puissant facteur de compétitivité ».
Une compétitivité à la mode actionnariale. Lors des deux premières séances de négociation, les 9 et 30 octobre, il s’est montré à l’offensive pour vider l’idée même de dialogue de toute substance. Et le Medef vient d’annoncer le report de la troisième séance de négociation sur le dialogue social prévue le 13 novembre.
Patronat en ordre de combat
Les organisations patronales ont adressé aux syndicats de salariés deux textes projets, l’un deux jours avant la séance d’ouverture, le second le 28 octobre. Dès le premier, le patronat présente l’entreprise comme une « communauté de créations de richesse et de valeurs », omettant le lien de subordination qui lie les salariés à l’employeur, comme le circuit réel des richesses créées.
Surtout, il prône une totale inversion de la hiérarchie des normes. Pour le Medef, la loi « doit fixer le cadre général », mais c’est « au niveau de la branche ou de l’entreprise, par le dialogue social, que l’essentiel de la régulation doit se faire ». Il s’agit de rendre la loi supplétive, faisant dépendre les droits des salariés du rapport de force propre à leur lieu de travail et écartant du même coup le principe de faveur, lequel accorde à chaque salarié la norme qui, de la loi, de la branche ou de l’entreprise, lui est la plus favorable.
Réduire la représentation des salariés
Dans le second texte, c’est aux instances de représentation du personnel dans les entreprises que le patronat s’attaque. Il souhaite créer pour les entreprises de cinquante salariés et plus, une « instance unique de représentation du personnel », laquelle fusionnerait toutes les institutions représentatives du personnel (DP, CCE, CE, CHSCT). Son périmètre d’intervention se limiterait à quelques sujets définis, sans consultation sur « la marche générale de l’entreprise ». Et n’aurait plus lieu qu’une seule consultation par an.
Cette instance pourrait aussi négocier des accords d’entreprise. Les élections professionnelles ne seraient plus obligatoires et l’existence de cette instance serait soumise à référendum auprès des salariés. Ce qui, comme le souligne la CGT – de même que l’ensemble des organisations syndicales – soumettrait « le droit fondamental à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises, à la volonté d’une majorité ».
Quant aux entreprises de moins de cinquante salariés, où l’obligation d’élire des délégués du personnel est trop rarement respectée, les organisations patronales suggèrent tout simplement de les supprimer. Précisément parce que l’obligation est d’ores et déjà violée…
Le patronat appelle à un changement de paradigme
De telles orientations s’inspirent nettement du rapport de la commission de Virville de 2004 commandité par le gouvernement Raffarin sur un réaménagement du Code du travail. Au menu : une restriction sévère du domaine de la loi, une réduction des délais de contestation des accords, un bouleversement des droits des actuels comités d’entreprise – frappés aussi à la caisse – ou des délégués syndicaux, quant aux modalités de leur mise en place et au périmètre de leurs attributions, avec en fait la création d’un « conseil d’entreprise »… À quoi s’ajoutaient une série d’autres préconisations précarisant un peu plus encore l’emploi salarié et dont s’inspirent de nouvelles exigences patronales.
L’inversion de la hiérarchie des normes
Ces provocations patronales ne sont pas pour étonner. L’inversion de la hiérarchie des normes constitue l’une des revendications clés du Medef, et il annonce aussi depuis des mois vouloir élever les « seuils sociaux », lesquels déclenchent les obligations des entreprises en particulier quant au droit des salariés à être représentés (élections de délégués du personnel à partir de onze, CE et CHSCT à partir de cinquante, mais aussi taux de cotisation plus conséquent pour la formation professionnelle ou obligation de faire travailler 6 % de salariés handicapés à partir de vingt…)
L’existence même de telles obligations serait selon lui préjudiciable à l’emploi, nonobstant une étude de l’Insee de mars 2011, selon laquelle « les seuils de 10, 20 et 50 salariés » n’ont qu’« un impact limité sur la taille des entreprises françaises », et nonobstant un certain « modèle allemand », puisque les seuils de cinq et dix salariés seulement déclenchant respectivement le droit au DP et au CE chez notre voisin d’Outre-Rhin n’y ont jamais nui à l’emploi…
Un gouvernement empressé…
Mais pourquoi le Medef se priverait-il d’exigences phares, lorsque le gouvernement lui-même précède ses vœux ? Le ministre du Travail, François Rebsamen, a suggéré un gel des obligations liées aux seuils durant trois ans, le temps, a-t-il ajouté, que la croissance revienne. Le premier ministre confirme suivre les souhaits du Medef.
Et dans un entretien au Monde, le locataire de l’Élysée précise : « Chacun doit admettre la nécessité de lever un certain nombre de verrous et de réduire les effets de seuils. » Une démarche très grave, qui sous-entend que la démocratie et le droit de tout travailleur à être représenté nuiraient à l’emploi ; et qui, si elle aboutissait, isolerait davantage encore les salariés. Le gouvernement, qui a appelé à cette négociation, a pourtant annoncé que faute d’accord il légiférerait.
Ce que disait le candidat Hollande
Le président de la République, pourtant, avait consacré le dialogue social comme méthode de gouvernement. Avant la présidentielle, François Hollande dénonçait : « À quoi bon convoquer des sommets sociaux à l’Élysée s’il s’agit, sous couvert de concertation, de faire avaliser des choix déjà pris comme sur le dossier des retraites ? À quoi bon inciter les partenaires sociaux à négocier sur le partage de la valeur ajoutée si c’est pour annoncer inopinément et contre l’avis de tous une prime qui ne concernera qu’une minorité de salariés ? »
Après cinq années de mandat de Nicolas Sarkozy, lequel n’hésitait même plus à faire siffler la CGT dans ses meetings, la décision de son successeur de tenir compte des acteurs sociaux est apparue comme un ballon d’oxygène. Mais elle s’est très vite confondue avec la transcription dans la loi d’accords entre le patronat et certaines organisations syndicales, sans autre intervention du législateur pour tenir compte des rapports de force et de l’intérêt général. Lors de la dernière conférence sociale cet été, le gouvernement a même préalablement cédé aux injonctions patronales. Et plusieurs organisations syndicales, dont la CGT, avaient refusé de cautionner un tel simulacre.
C’est la démocratie qui est en jeu
Le patronat se heurte cependant à de tout autres exigences des organisations syndicales. Toutes refusent une quelconque remise en cause de la hiérarchie des normes. Toutes considèrent également comme incontournable la représentation des salariés dans les TPE et PME, qui méritent autant que les autres d’élire de vrais représentants, alors que ceux des entreprises de dix salariés et moins n’ont jusqu’à présent obtenu le droit qu’à un vote sur sigle.
Pour la CGT, il est urgent de permettre l’exercice de la citoyenneté dans le travail, en se fixant un véritable objectif de progrès social. Et la négociation pourrait avoir pour objectifs la mise en œuvre du droit de tous les salariés à être consultés sur leur travail, et à bénéficier de représentants élus susceptibles d’intervenir, entre autres, sur les orientations de l’entreprise.
Un vrai changement passerait
par le renforcement des droits de tous les salariés
La CFDT propose des commissions territoriales multiprofessionnelles pour représenter les salariés des TPE. Elle insiste aussi sur la formation des élus et mandatés et la reconnaissance des compétences acquises. Pour la CFTC, le lien de subordination rendant impossible toute démocratie directe dans l’entreprise, la représentation y est donc nécessaire. FO souligne aussi la nécessité de représentation de tous les salariés. Et la CFE-CGC rappelle l’importance de la loi.
Pour la CGT, il s’agit de permettre « une représentation collective effective et améliorée pour tous les salariés », de « placer le travail au cœur du projet de l’entreprise », de favoriser « un exercice réel et sans entrave du droit de se syndiquer, de s’impliquer dans le syndicat de son choix », de rendre possible l’intervention « sur les questions économiques, les orientations et choix stratégiques de l’entreprise », de « réformer les règles de la négociation collective », de « valoriser et reconnaître les parcours militants et électifs ».